Ilana Isehayek
Presse / Textes Quand la mer devient ronde

Vive jeune femme fluette et pointue, llana Isehayek souligne d'un trait d'eye-liner ses brillants yeux sombres, ce qui lui donne, à elle qui vient des parages du croissant fertile, le regard charmeur d'une fée orientale, une sorte de Nefertiti espiègle.
Par l'effet magique de son regard, tout prend un sens inattendu; les objets de rebut les plus triviaux se révèlent riches de potentiel et de nouvelles qualités. Il est de même de ces dessus de table d'école, dont elle a récolté l’écume pour la réalisation de son oeuvre Quand la mer devient ronde, réalisation au titre du “1 % artistique” de la nouvelle extension du collège international de l'Esplanade à Strasbourg.

A locaux neufs, nouvelles résolutions, c'est tabula rasa d'une partie de l'ancien mobilier: des tables dépassées ergonomiquement, mais aussi entaillées au cutter, gravées à la pointe des compas, marquées de feutres, de correcteurs liquides et d'encres indélébiles, sont constellées d'expressions propres à faire rougir le plus dessalé des ancêtres en langue verte de préau. Que faire de ces affligeants palimpsestes orduriers, sinon les livrer en sacrifice à la voracité de la Benne ? Ilana le saura, avant que ces tables ne suivent leur destin.. Dans un autre registre, la Représentation du monde de Behaim est obsolète et dépassée dès sa parution, en 1494.
Ce malheureux cartographe allemand, Martin Behaim, publie une grande carte, représentation du monde par projection plane de douze segments en fuseau qui permettent la reconstitution du globe terrestre.

Ilana Isehayek découvre ces formes, s'en empare et en fait un élément récurrent de son vocabulaire, non seulement en raison de la possibilité d'un jeu formel plan/volume, mais aussi parce que Behaim, ignorant tout de l'aventure de Christophe Colomb, ne représente pas l'Amérique, et laisse à la place du continent d'où vient llana (elle est de nationalité canadienne) un grand vide bleu.Cet espace vacant est à la fois celui du monde à découvrir, et de son monde: sur ces fuseaux libres peuvent s'inscrire expressions, découvertes, connaissances nouvelles, ils sont là pour l'à-venir.

Une commission a retenu le projet d'llana après un concours. L'oeuvre comprend une double intervention sur le mur cylindre, du CDI à la cour. En face, une demie- barque flotte sur le “ mur-voile” en béton du préau. Sur le grand mur cylindre renfermant un escalier de secours, llana projette ses formes en fuseau empruntées à Behaim, en respectant ce postulat: d'une part, la représentation du monde connu, de l'autre la représentation du monde à venir: la césure se fait au niveau équatorial, celui-ci se confondant avec la ligne du plancher.

Après un relevé photographique des incrustations et graffitis prélevés sur les tables d'écolier et un traitement des clichés (sélection des couleurs et inversion des films), llana fait réaliser des impressions sérigraphiques sur des plaques de contre-plaqué qu'elle retravaille à 1a meule.
Ces demi-formes sont incrustées dans le béton du CDI, et leur dessin se prolonge dans le béton en relief au niveau de la cour; les élèves ne le savent pas, I'encadrement y veille, mais le projet de l'artiste les autorise contractuellement à y poursuivre leur travail de typographe sur cette partie. La réalisation du batiment est de réquipe Meyzaud-Weber.
Ceux-ci se déclarent enchantés par la justesse et l'ambition de ce projet artistique qui renouvelle l'approche de ce type de commande, souvent tristement décorative, dans le mauvais sens du terme.

 

 

Ilana au collège
Christophe Meyer
Saisons d’Alsace
Hiver 98-99

Voir le projet

 

 

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