Ilana Isehayek
Presse / Textes Windbreaker/Brise vent

La question de l'orientation est en effet liée à la pensée (et à la pratique) du voyage, du mouvement et de l'espace qui depuis toujours anime le travail d'Ilana Isehayek. Les deux langues énonçant le titre sont en effet révélatrices de la biographie de l'artiste, de sa migration à travers plusieurs cultures.

 

L'ajustage soigneux des lattes de bois du Brise-vent rappelle celui des coques de bateaux : ceux qu'elle a construits pour naviguer le long des côtes bretonnes, tout comme ceux plus petits, qu'elle insérait, renversés, dans ses premières peintures sur bois. Ici, il s'agira dans la réalité d'un paysage forestier de maintenir une stabilité exposée aux multiples mouvements et activités de la nature : pression du vent, infiltration de l'eau et du gel ou encore déformations du sol...Il est de plus vertigineux de penser que cet objet, somme toute de petite taille, traduit, en indiquant le Nord, les effets du magnétisme provoqué par les mouvements de convection de matières en fusion situées bien en dessous de l'écorce terrestre tout comme d'ailleurs les tempêtes auquel il devra résister proviennent de la convection d'énormes masses d'air humide chauffées par le soleil au-dessus des océans tropicaux et mises en mouvement par la rotation de la Terre !

 

La même forme de coque, mais cette fois aplatie et tronquée à ses extrémités verticales, se retrouvait dans la série des Behaïm, élaborée à partir du procédé de représentation de la surface du globe terrestre inventé par un astronome mathématicien et explorateur du XVI0 siècle. C'est aujourd'hui au cheminement du simple promeneur, acceptant de se laisser un moment distraire de son trajet par une œuvre d'art, que le Brise-vent offrira à sa manière un inhabituel repère d'orientation.

 

Enfin, les Chiquitas, nées d'un assemblage de morceaux de bois provenant de cageots de bananes mexicaines, faisaient, sous la forme d'immenses cônes incurvés, irruption dans un espace d'exposition à partir d'un autre espace invisible derrière le sol, les murs ou le plafond. Nul doute qu'un même effet de surprise naîtra de la découverte inopinée de cette silencieuse page d'écriture, tracée sur du bois mort parmi les arbres bruissant sous le vent et les chants d'oiseaux...

 

Le Brise-vent appartient bien par ces divers caractères ainsi rappelés à l'œuvre sculpté d'Ilana Isehayek, mais par sa situation, il y ajoute une singulière "oscillation" entre un statut d'objet apparemment fonctionnel, une dimension d'écriture et une modulation, une articulation de l'espace, spécifiques de la sculpture qui s'est au cours du XX° siècle émancipée de sa traditionnelle visée figurative. Mais il est aussi intéressant de noter que l'inscription de la continuité des mots sur l'extension des panneaux de bois a dû résoudre des problèmes rappelant ceux rencontrés jadis par les peintres dans leur élaboration de la perspective ou dans leur désir de produire des illusions visuelles.

 

Ce n'est dès lors plus un simple hasard si Ilana Isehayek s'est inspirée pour concevoir cette œuvre d'un panneau de la réconciliation, présent dans le Musée Oberlin à Waldersbach, localité proche de ce site. En effet, dans cet objet datant du XVIIPsiècle, imaginé à des fins didactiques par le pasteur Oberlin, des lignes et couleurs posées sur une surface pliée permettaient de voir deux images différentes selon l'angle sous lequel on 1' examinait. Ainsi était enseignée de manière sensible et simple la coexistence possible et paisible de deux points de vue également justes sur la même chose, dans le droit fil de la pensée des Lumières, hostile au dogmatisme et au fanatisme qui en découle.

 

Le Brise-vent d'Ilana Isehayek se dévoile ainsi être à plusieurs égards une œuvre s'inscrivant aussi pertinemment dans la nature et les traditions culturelles locales que dans l'actualité contemporaine caractérisée tout autant par des changements climatiques inquiétants que par un sinistre obscurcissement de l'esprit, générateur d'affrontements sanglants en de nombreux points du monde. La justesse d'inscription d'une œuvre d'art découle dans ce cas de sa précision de réalisation, de sa simplicité nullement contradictoire avec une richesse de significations et surtout, comme l'énonce son titre, de son attitude de résistance à tous les "vents mauvais" , à tous les sens - littéral et figuré - hélas trop actuels de cette expression.

Sans titre
Paul Guérin
2004

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